Felix vagabondait dans les couloirs comme à son habitude. Que recherchait-il exactement ? Un moyen de sortir de cet endroit infâme ? Sa défunte et fantomatique épouse que les couloirs l'avaient encore séparée de lui ? Il ignorait, en fait, ce qu'il faisait. Il ne se cachait même pas en attendant que tout ce cauchemar passe, parce que de toute façon, il savait que rien ne changerait si il ne bougeait pas. Alors il errait entre les murs, attendant tout de même que quelque chose vienne à lui pour l'aider à trouver des réponses. Car en effet, il restait tout de même amnésique même si plusieurs parties de sa vie lui étaient revenues. Il se trouvait au Premier étage. Enfin... c'est ce qu'il pensait. Cela faisait un certain temps maintenant qu'il était ici et il commençait à reconnaître certaines parties du château même si il n'avait jamais mis les pieds dans certaines ailes de ce Manoir.

Il frotta ses yeux assombris par la fatigue pour tenter de chasser celle-ci. Mais il avait beau essayer de calmer les picotements liés au sommeil dont il manquait et il avait toujours envie de bailler et ses paupières essayaient même de se fermer sans son accord. Cependant, quelque chose le tenait bien éveillé et c'est ce qu'il empêchait de dormir convenablement dans cet Enfer : la peur. Car oui, il avait peur de se faire attraper par un un Gardien et il n'y avait pas meilleur moment pour se saisir d'une proie, celle-ci étant parfaitement vulnérable si elle s'assoupissait. Felix avait déjà fait l'expérience une fois et il s'était réveillé sur une table d'opération. Cela lui avait servi de leçon et il l'avait retenue. Ne pas dormir. Jamais. Mais son manque de sommeil commençait à affecter son esprit déjà malade. Il lui semblait entendre des chuchotements, des murmures, sans qu'il puisse les comprendre. Ça semblait parler une autre langue donc il n'essaya même pas de savoir ce que ça disait. Mais alors qu'il poursuivit sa route, il entendit un grognement puissant, rauque et... surréaliste. C'était un monstre énorme qui avait poussé ce bruit. Effrayé, il s'arrêta brusquement avant de commencer à faire quelque pas en arrière. Dans le virage du couloir, le museau d'un gigantesque que reptile apparut. Le peu de couleurs qui restaient sur le visage de Felix disparurent instantanément. Un dragon. Ça ne pouvait être qu'un dragon. Il en avait vu dans les livres retraçant les légendes et les mythes d'autres époques. Mais le petit horloger n'avait rien d'un Saint-Michel ou encore d'un chevalier de la légende arthurienne. Voyant la gueule du monstre se tourner vers lui, il fit volte-face et s'enfuit en courant.

Oh, bien sûr que tout ceci n'était que dans sa tête. Les dragons, ça n'existe pas. Mais comment réagiriez-vous face à une hallucination telle que celle-ci, surtout sous l'emprise d'une fatigue extrême. Notre petit dément détalait donc dans les couloirs, croyant essayer de sauver sa peau de son prédateur imaginaire. Il courut donc à en perdre haleine, se retrouvant maintenant dans les couloirs des chambres du premier étage. Il ne criait pas fort heureusement. Il savait qu'il pouvait attirer un Gardien si il le faisait. Donc pourquoi fuir un danger (même si il n'existe pas) pour se précipiter dans un autre qui, lui, est bien réel ? Même si il ne parvenait pas à faire part du vrai et du faux, il avait quand même conservé un instinct de survie. On était jamais trop prudent. Cependant, son pied heurta quelque chose au sol qu'il n'avait absolument pas vu et s'écrasa lourdement au sol, son menton heurtant violemment le sol. Il aurait gagner un bel hématome... Quoiqu'il en soit, il dégagea rapidement son pied, fit quelques pas à quatre pattes et se retourna vivement pour voir si quoi il avait trébuché. Apparemment, c'était une femme, étendue au milieu du couloir. Il n'eut pas le temps de se demander ce qu'elle faisait par terre, il releva la tête pour vérifier que son cher dragon halluciné était toujours à sa poursuite. Non, rien. L'avait-il semé ? Pourtant, il lui semblait d'entendre ses rugissements se rapprocher de lui et de l'inconnue. Il se releva rapidement, prit la femme par les épaules et la tendit devant lui avant de hurler à l’intention de la créature imaginaire :

- Tiens ! Prends-la ! Prends-la plutôt que moi !

Felix tenait toujours fermement la demoiselle par les bras, la brandissant à son dragon imaginaire pour la faire manger à sa place par celui-ci. Mais la créature n'étant que dans sa tête, il était évident que personne n'avait rien à craindre. Et il semblait bien que l'inconnue l'avait compris, puisque ce qui l'effrayait le plus n'était pas le gros reptile légendaire mais Felix lui-même. Mais ce dernier ne comprenait toujours pas comment elle pouvait être si calme alors que le monstre pointait le bout de son museau fumant dans le virage du couloir. Le dément raffermit sa prise sur elle et commença à la pousser en avant, histoire qu'elle aille se faire dévorer plus rapidement et qu'il puisse fuir et se cacher au plus tôt. Pourtant, le dragon semblait coincé dans son couloir. Pire ! On aurait dit qu'il disparaissait. Intrigué, il relâcha l'inconnue de son étreinte et commença à froncer les sourcils. Les dragons ne disparaissaient pas, normalement. N'était-ce qu'une hallucination ? Cette question aurait dû lui venir plus tôt en tête, mais dans la panique, il s'était plus fié à ses yeux et à son instinct qu'à sa raison. Un autre grognement reptilien retentit dans ses oreilles, venant de son dos cette fois-ci. Il se retourna lentement et ses épaules s'affaissèrent pour constater que le dragon était juste apparu dans le couloir derrière lui. De frayeur, il recula lentement, avant de trébucher sur le pied de l'inconnue et de s'écraser lourdement par terre.

Dans une grimace de douleur, il se frotta le bas du dos avant de rouvrir prudemment les yeux et de constater que la créature avait disparu. Pour de bon, il espérait. Remarquant une paire de jambes dans son champ de vision, il releva son regard vers leur propriétaire et reconnut rapidement les traits de la femme sur laquelle il s'était entravé. Cependant, un détail le gênait profondément. Il avait d'abord cru que l'inconnue était blonde mais il semblait que dans la pénombre, il s'était trompé. En effet, il avait l'impression que ses mèches de cheveux bougeaient légèrement. Pourtant, il n'y avait aucun courant d'air... Étrange. En plissant légèrement les yeux, il vit avec effroi les cheveux se dresser et tourner des têtes de serpents vers lui. Dans un cri apeuré, il cria, longuement, se cassant presque la voix. Il avait reconnu cette autre créature. Ce n'était pas un dragon, mais la Méduse, sortie tout droit de la mythologie grecque ! Mais pourquoi...? Pourquoi des monstres qui n'existaient que dans les histoires avaient décidé de surgir devant lui ainsi pour venir le tuer...? Et surtout, qu'avait-il fait pour mériter un tel sort ? Néanmoins, il parvint à se souvenir pas trop tardivement qu'il ne fallait pas la regarder en face. Elle vous pétrifiait en pierre, selon la légende. Alors il recommença à reculer, protégeant ses yeux avec son avant-bras, ramenant ses genoux contre lui, avant de hurler s'en casser la voix :

- Tu ne m'auras pas ! Tu ne me tueras pas !

Alors qu'il gémissait misérablement de peur, recroquevillé sur lui-même, il réfléchit rapidement à une solution pour se tirer de ce mauvais pas. Il n'allait pas attendre qu'elle le force à la regarder, sinon, il était fini. Il fallait donc fuir. Il se releva pitoyablement, chancelant par un manque évident d'équilibre dû à sa cécité provisoire et purement défensive et tourna le dos à Medusa. Puis, il se mit à partir en courant dans les couloirs, tentant de fuir le monstre. Mais dans sa panique et sa stupidité, il en oublia de rouvrir ses yeux, conservant son avant-bras sur ses paupières. Ainsi aveugle, il ne pouvait voir où il mettait les pieds et finit par s'entraver sur un tapis, puis sur le pied d'un fauteuil. Il chuta lourdement au sol, cognant durement son menton sur le parquet. Il resta immobile quelques secondes, gémissant tout en essayant de reprendre ses esprits avant d'essayer de retrouver son souffle et de se mettre à quatre pour se relever, faisant de l'ordre dans sa tête.

Felix se remettait difficilement de sa chute en gémissant. Il se frotta sa mâchoire douloureuse à cause de son dur contact avec le sol. Il se redressa sur les genoux, essayant de se rappeler ce qu'il venait de se passer, prit par une brusque et légère amnésie. Il entendit des pas se rapprocher de lui et tous les muscles de son dos se tendirent d'effroi. Un Gardien ? Une Brute ? Quelqu'un qui lui voulait du mal certainement. Cependant, il ne se retourna pas. Pourquoi ? Il n'en avait sûrement pas la force de se retourner, se relever et partir en courant. De toute façon, la personne était déjà trop près de lui pour faire quoique ce soit. Il sentit alors une main se poser sur son épaule et le contact fut comme électrique et désagréable. Malgré à ce qu'il pensait concernant sa force, il se révélait être encore rempli d'une sorte de volonté de vivre et de sauver sa peau. Il repoussa donc brutalement la main qui le touchait en feulant comme un chat avant de se redresser brutalement. Et il reconnut le visage devant lui. La Méduse... La Méduse qui avait sûrement relâché son dragon sur lui pour le dévorer. Il se mit à trembler de peur, ses jambes le maintenant difficilement debout. Il se cacha de nouveau les yeux pour ne pas se faire transformer en pierre et se mit à gémir doucement. Il ne voulait pas mourir en fin de comptes. Pas dans ces conditions en tout cas.

Les paupières toujours closes, il poussa violemment Médusa loin de lui, histoire de se sentir un peu plus en sécurité. Il devait réfléchir rapidement. Il ne pouvait pas fuir, car il s'aveuglait toujours volontairement. Avec la Méduse, il valait mieux ne prendre aucun risque. Donc si il se remettait à courir, il y avait de fortes chances pour qu'il tombe à nouveau. En revanche, il pouvait toujours essayer de se défendre... Cela ne lui était pas interdit. C'était sacrément risqué, mais pas interdit... Et de toute façon, c'était la seule échappatoire qui s'offrait à lui. Alors, dans un cri rauque de rage mais tremblante par la peur, il fonça sur la Méduse, se prenant pour l'homme le plus courageux du monde, et la percuta violemment. Les deux corps s'écrasèrent lourdement sur le sol. Précipitamment et sans attendre, Felix passa à califourchon au-dessus d'elle et chercha à tâtons sa chevelure reptilienne, car oui, cet abruti conservait ses paupières closes, ayant toujours peur de se faire pétrifier par une malheureuse tignasse blonde et inoffensive. Mais peu importe, il tira dessus, espérant priver cette abomination de la planète à son pouvoir aussi démoniaque qu'inexistant. Il se moquait éperdument de savoir si cela pouvait faire mal à la créature, cependant, il ne s'arrêterait pas. Il faisait, en effet, aucune preuve de pitié ou de compassion, lui-même étant très sensible du cuir chevelu, il ne se gênait vraiment pas pour malmener celui du monstre. Puis, sentant que rien ne venait et qu'il s'épuisait beaucoup trop vite, il relâcha son emprise et s'écarta d'au-dessus d'elle, sentant une migraine revenir de plein fouet dans son crâne. Il partit se réfugier dans le coin d'une commode contre le mur, effrayé comme un animal, repliant ses genoux contre lui, continuant de fermer les yeux.

Il ignorait ce qu'il lui arrivait, mais son souffle brutalement hors de contrôle ne présageait rien de bon. Alors qu'il tentait vainement de se calmer de la crise de panique dont il était victime, il ouvrit timidement un œil, puis l'autre, et regarda la jeune femme qui semblait être en fait parfaitement normale. Pas de serpents dans les cheveux. Pas de manifestations surnaturelles quelconques sur son corps. Rien. Tout ce qu'il y avait de plus normal. Felix se sentit soudainement très stupide et recula un peu plus se cacher de sa honte. Il espérait de tout cœur qu'elle prenne ses jambes à son cou, qu'elle mette le plus de distance possible entre le fou qu'il était et elle mais dans le cas contraire, il relèverait fièrement le menton. Il ne voulait pas passer ni pour un faible, ni pour un dément (même si il savait qu'il avait quelques problèmes psychologiques). Alors il la regarda sans un mot, les genoux contre, son regard sombre et légèrement menaçant braqué sur elle.

Felix ne bougeait toujours pas, décidément plus que honteux de ce qu'il avait pu faire à la pauvre jeune femme qui n'avait absolument rien demandé. Il restait dans son coin, les jambes repliées contre son torse et posa le menton sur ses genoux, regardant fixement devant lui, essayant de comprendre pourquoi il avait vu des serpents dans les cheveux de l'inconnue et un dragon dans les couloirs. Il jeta d'ailleurs un regard à sa pauvre victime. Quand il vit qu'elle semblait souffrir physiquement par sa faute (ce qui était plutôt logique), il ressentit un douloureux pincement dans le ventre. Oui, il s'en voulait. Il n'aimait pas à agresser les gens sans raison. Surtout que pour une fois, sa propre vie n'était pas en danger puisqu'elle paraissait aussi inoffensive qu'une amnésique. Et puis, dans sa crise de folie, il l'avait entendu s'inquiéter de son état mental. Pour être franc, lui aussi commençait à être sacrément inquiet de ce qu'il pouvait y avoir dans son crâne... Et ce n'était sûrement pas beau à voir... En fait, en y repensant, il n'était pas sûr de tant vouloir savoir que cela... Donc il continuait à ne rien dire, cherchant maintenant un moyen de s'excuser auprès de la blonde pour essayer de se faire pardonner. Oui, il tenait à lui faire comprendre que malgré ses petites crises apparemment passagères, il n'était pas quelqu'un de méchant... Enfin, il croyait...

Alors qu'il poussait un profond soupir de désespoir, le visage toujours dans ses jambes, il entendit à nouveau un grognement reptilien. Il releva brusquement la tête et commença à regarder rapidement autour de lui, presque excité en entendant ce bruit qui lui permettrait peut-être de se racheter. Il se leva d'un bond quand il aperçut la gueule du dragon au bout du couloir. Le fait qu'il venait de réfléchir à sa propre folie pendant quelques secondes lui étaient complètement sorti de l'esprit. À cet instant précis, ses yeux voyaient un dragon alors un dragon il y avait. Comment sa folie aurait pu générer dans sa tête une créature aussi monstrueuse et aussi... réaliste ? Quoiqu'il en soit, il vit rapidement le gigantesque reptile charger sur les deux âmes accablées au milieu du couloir et Felix ne réfléchit pas avant de s'élancer sur l'inconnue.

- Attention !

Il la plaqua au sol tandis que la monstrueuse gueule du dragon se refermait bruyamment dans le vide, là où Felix et la femme s'étaient tenus quelques fractions de secondes auparavant. Le fou continuait de maintenir sa victime au sol, essayant de la faire bouger le moins possible malgré l'imposant cou reptilien au-dessus d'eux. Fort heureusement, ils semblèrent avoir complètement disparu pour la créature mythologique car cette dernière ne songea même pas à baisser le regard pour les apercevoir. Felix poussa un grand soupir de soulagement en voyant le dragon partir au loin. Puis, il se redressa, arborant un grand sourire joyeux. Oui, il était fier de lui. Il avait réussi la fille du dragon. Il n'était pas dans un conte certes, mais il demeurait tout de même satisfait de lui-même. Le visage rieur, les yeux joyeux, il ne put s'empêcher de dire sur un ton légèrement provocateur tant il était content :

- Alors ? Qu'est-ce qu'on dit ?