Amy… Ma pauvre et douce Amy… Qu’as-tu donc fait pour mériter ce qu’il t’arrive ? Même dans la mort, ne trouveras-tu donc jamais la paix ? J’étais sincèrement triste pour elle. Bien que je ne porte pas vraiment Félix dans mon cœur, je dois bien reconnaitre qu’apprendre sa mort m’a fait un choc. Je n’imagine pas ce que ma douce nièce a dû endurer à partir de cet évènement. Qui plus est, qui aurait cru que mourir aurait pu autant changer un homme à ce point ?... Arf, ces mots semblent toujours sonner faux à mon oreille. Difficile pour un scientifique comme moi de croire aux fantômes alors que, pourtant, ils existent bien. Autant vous dire que j’ai dû revoir tout ce que je pensais acquis depuis plusieurs décennies.

Mais revenons plutôt au fantôme qui nous intéresse le plus. Amy est venue me voir, plus abattu que jamais à cause de son mari. Bien entendu, même-ci j’étais sincèrement triste pour eux, une forme de plaisir malsain m’a envahi quand elle m’a annoncé la nouvelle suivit d’un nouvel espoir. Mais… faible comme je suis, je ne pouvais profiter de la situation pour la faire tomber dans mes bras… Jusqu’au jour où j’appris alors qu’un bal était organisé ! C’était l’évènement rêvé pour que ma nièce puis-ce se changer les idées. Aussitôt, je lui fis part de la nouvelle ce qui sembla l’emballer sur l’instant. Mais le fait de ne pouvoir changer de tenue lui fit perdre toute motivation. A ce moment, je m’étais approché et fit mine de poser les mains sur son visage spectrale en la regardant droit dans les yeux, souriant. Je lui avais dit que la tenue ne comptait pas et que seule, elle, comptait car elle restait magnifique.

Finalement, elle accepta. Cela me fit énormément plaisir. Maintenant, j’avais deux bonnes raisons d’y aller. Les motivations de Johann m’intéressaient. Cependant, je dois bien reconnaitre que cela me semblait un peu gros. Réunir dans une seule salle toutes les personnes susceptibles de mener une rébellion contre Rockwood sans que lui-même ne le sache ? Il allait forcément se passer quelque chose. Mais ma nièce ne craignait rien dans tous les cas, étant donné qu’elle est déjà morte et moi, même-ci les chances étaient faible, j’espérais bien pouvoir aider à stopper cette folie.

Il y avait tellement de monde… Et surtout tellement de connaissances. David et Harry furent les premiers que je repérai. Aaaaah il en a fait du chemin le petit bonhomme au fond de sa cellule capitonnée qui jouait aux échecs avec son docteur. Cela me faisait plaisir de le voir heureux… même-ci, je dois l’avouer, voir un homme dans les bras d’un autre me faisait bizarre. Mais le plus important, c’était de les voir heureux. Nos regards se croisèrent et je levais mon chapeau, lui souriant, montrant bien mon bonheur de le voir ainsi. Il y avait aussi bien des femmes… bien des âmes en peines aussi. Deux démentes, une au comportement canin et l’autre au teint pâle semblaient en train d’essayer d’avoir une conversation, une rouquine qui était collée à une autre, et un couple chamailleur… Une étrange sensation m’envahi. Je n’avais plus l’impression d’être dans le manoir. Toutes ces personnes semblaient détendues. La peur, l’animosité, tout cela était absent ici. Ce moment de paix était bénis.

C’est alors que je la vis, resplendissante sur le balcon… Morte, oui, mais resplendissante jusqu’à ce que quelque chose attira son attention et semblait pomper en elle toute cette magnificence qu’elle dégageait. Je suivis son regard et tomba sur l’ectoplasme de Felix. Très sincèrement, sa réaction d’enfant gâté qui n’a pas eu son jouet pour noël m’énerva au plus haut point… Il la fixait comme-ci il attendait à ce qu’elle s’écrase devant lui… C’est une honte de traiter sa femme comme cela. Dans tous les cas, je ne comptais le laisser gâcher la soirée d’Amy. Je m’approchais alors du balcon et fit signe à Amy de se rapprocher. Tout sourire, mais un peu timide, je lui dis alors :

« Tu es… splendide… » Je me raclais la gorge, essayant de l’inviter à danser. « M’accorderais-tu ce… M’accorderais-tu cette… »

Le mot « danse » avait du mal à sortir… Je n’ai pas tellement l’habitude d’inviter quelqu’un à danser avec moi et là… il s’agissait de la femme la plus importante de ma vie. Sachez que je n’avais pas d’idée malsaine à ce moment. Tout ce que je voulais, c’était passer un bon moment avec elle et l’aider, encore une fois, à retrouver le sourire.

La musique était toujours aussi belle et dansante. C'était une chose tellement rare dans ce manoir qu'elle méritait d'être appréciée au plus haut point. Des robes diverses qui dansaient de partout, des hommes bien apprêtés, loin des monstres sans visages que l'on pouvait trouver d'ordinaire. Amy appréciait ces couleurs qui explosaient de toute part. Jusqu'à ce que son regard croise celui de son mari. Tout son environnement devint couvert de noir et de gris, nuance tout aussi pâle les unes que les autres. La musique devint plus triste dans ses oreilles, elle ne voyait plus que ce regard sombre. Qui semblait la haïr. C'était toujours ce même regard, rien n'avait changé. Il était toujours empli des mêmes ténèbres. Amy avait cette immonde impression qu'elle était encore une fois violée par ce regard. Tous les reproches qu'il ne lui avait jamais fait, il les lui faisait à cette seconde précise où il la poignardait de l'obscurité croissante de ses iris. Mourir était trop beau pour elle, jamais elle n'en n'aurait le droit. Condamné qu'elle était à souffrir éternellement de ses erreurs. Felix...même dans sa folie, il était toujours aussi beau. Elle avait envie de le rejoindre. S'asseoir à ses pieds, s'accrocher à ses jambes pour embrasser ses genoux, telle une esclave. Des larmes emplirent ses yeux tandis qu'elle les baissa, honteuse de sa propre condition et de son incapacibilité à se détacher de lui.

Mais c'est justement à ce moment qu'elle vit son oncle l'appeler. Aussi descendit-elle rapidement en voletant. Il avait le don pour lui changer les idées quand elle en avait besoin. Même si elle ne savait pas si elle devait le remercier pour l'avoir emmener ici, où Felix se trouver aussi. Un compliment de sa part fit naître un sourire sincère sur son visage. La beauté. Elle était splendide. Oui. Il l'invita à une danse, sans arriver à terminer sa phrase. Mais ce n'était pas difficile à deviner sous les balbutiements. Toute soudainement joyeuse qu'elle pouvait être, Amy prit sa main et sourit.

- Avec joie, Tonton !

Elle se laissa alors conduire sur la piste, se calquant aux mouvements de son oncle, car ne pouvant vraiment le toucher. La jeune femme tentait par tous les moyens d'enlever son mari de son esprit, de retrouver des couleurs autour d'elle, que la musique redevienne joyeuse à nouveau. Ils dansèrent et se fondirent dans la foule, même si un fantôme était difficile à passer inaperçu.

Felix essuya le rire moqueur de sa sœur qui ne semblait avoir aucun autre intérêt dans la vie que péter plus haut que son cul. Il aperçut alors une jeune fille, sûrement la vingtaine, s’approchait de Juliette pour la regarder comme un enfant devant son héros. Qui était-elle ? Pourquoi gobait-elle ainsi cette femme à la mentalité mauvaise ? Elle ne la connaissait apparemment pas, elle était en train de croire que l’aînée des Adler était peut-être une personne sympa. Il eut un sourire mauvais en coin qui disparut rapidement quand il vit Juliette regarder l’inconnue presque de la même façon pour ensuite l’inviter à danser. Felix était intrigué par cette scène qui n’avait pas de sens. Juliette qui posait ses yeux sur quelqu’un d’autre qu’Amy ? Pauvre petite inconnue. Elle allait tomber de haut sûrement. D’ailleurs son regard lui… lui rappela quelque chose de familier. Il l’avait déjà vu. Des yeux d’un bleu pur. Une rivière. Un saule pleureur. Il eut une moue triste et dépitée quand il les vit partir danser, à côté de Harry et David, qui semblaient d’ailleurs être le lustre de la salle tant leur bonheur rayonnait au milieu de la salle. Il les regarda tous les quatre, nostalgique, ayant presque des remords.

Il soupira, ne se sentant pas bien du tout. Il jeta un œil à Amy, sachant pourtant très bien que cela n’allait absolument pas arranger les choses. Elle était descendue du balcon et avait rejoint la piste de danse et surtout quelqu’un. Le sang mort et immobile de Felix s’ébouillanta en instant quand il reconnut la chevelure blanche du vieillard. James Carter. L’oncle d’Amy. Alors il était aussi dans ce Manoir…? Le regard triste de l’horloger redevint immédiatement furieux. Il serra les poings de rage, tout son corps tremblait de colère à tel point qu’il en eut les larmes aux yeux. Non, elle ne pouvait pas lui faire cela. Elle ne pouvait le narguer avec James dans la foule. Ce dernier porta son regard sur lui. Ils se regardèrent alors dans le blanc des yeux. Et le calme du scientifique l’horripila un peu plus. Felix était hors-de-lui et horrifié en même temps, ayant le sentiment que quelque chose lui échappait. Sa femme peut-être. Ce qui le raccrochait encore à sa vie d’antan. Mais il était comme ancré par sa fierté, se refusant d’aller les voir, d’aller essayer de récupérer ce qui était à lui.

Un carillon sonna. Sûrement 20h. Qu’est-ce qu’il en avait à faire désormais. Non. C’était important de savoir l’heure. Il détourna le regard de la nièce et de l’oncle pour regarder l’horloge près du bar. 20h. Il avait raison. Il fixa alors le cadran pendant plusieurs secondes, comme si cela lui remettait les pendules à l’heure. Il secoua la tête et soupira profondément avant de jeter un coup d’œil à Amy de nouveau. Il se sentit alors nerveux. Il se mordit la lèvre inférieure avant d’inspirer tout aussi profondément que son précédent soupir et partit les rejoindre, sur la piste de danse, toute agressivité sur son visage et arborant un sourire. Un sourire mi-sincère, mi-arrogant, ce qui n’était pas volontaire, étrangement. Il regarda Doc en continuant de lui sourire, la sincérité l’emportant sur l’arrogance et inclina respectueusement la tête.

- Bonsoir, Mr Carter. Je vous aurai bien serré la main mais…

Il eut un sourire désolé. Pas besoin de continuer sa phrase, sa condition de fantôme parlait d’elle-même. Il tourna alors son regard vers Amy, un regard bien différent du précédent, au bar. Ce n’était pas encore le regard de l’horloger introverti d’antan mais il y avait quand même un progrès. Quelque part, il s’en voulait réellement de ce qu’il lui avait fait. Mais il ne se l’était pas encore avoué à lui-même.

- Amy… Je dois vous dire que je ne vous attendais pas à vous voir ici, tous les deux.

Il sourit, sentant qu’il instaurait comme une sorte de malaise. Enfin, en tout cas, il se sentait clairement de trop. Mais avec James autour, c’était impossible qu’il laisse Amy seule, c’était plus fort que lui. Il inspira profondément.

- Je… Euh…

Il regarda de nouveau Amy avant de baisser les yeux. Il n’allait pas s’excuser. Il était devenu beaucoup trop fier pour ça. Il y a quelques années, il se serait agenouillé devant elle pour… Non. Il y a quelques années, rien de ceci ne serait arrivé. Il eut un sourire gêné et fit :

- J’espère que vous vous amusez bien.

Trop fier pour s’excuser, trop possessif et trop jaloux pour la laisser avec son oncle ou à quelqu’un d’autre et peut-être encore trop amoureux pour tourner la page même si cela semblait bien fini entre eux. Il était impardonnable, inexcusable. Mais elle ne pouvait tout simplement pas partir de sa vie. Elle était sa vie. Et elle était sa mort.

Il n’y a pas à dire, je devais vraiment avoir l’air idiot. Après tout, je ne suis plus de la dernière jeunesse, ça je pense que tout le monde s’en ait rendu compte en me voyant. Mais il est vrai que je n’ai eu que trop peu d’aventure amoureuse pour savoir pleinement quoi faire dans ce genre de situation. Cela fait déjà un moment que je ne porte qu’une seule femme dans mon cœur… Peut-être trop longtemps diront certains. Cela ne changera pas avant un moment… Une Amy il n’y en a qu’une sur x puissances infini, comme je dis souvent. Et malgré tout, elle avait accepté avec plaisir et, à nouveau, je pus contempler son sourire sur son visage.

Doucement alors, je la conduisis sur la piste de dance et, finalement, nous nous entrainâmes, en rythme. Il n’était vraiment pas simple de se coordonné sans se toucher. Mais, finalement, ce fut plus simple que je ne le pensais. Une main sur la sienne, l’autre au niveau de sa taille. Je plongeais alors mon regard plongé dans le sien et nous entrainâmes dans une danse à la fois douce et rythmé. A ce moment-là, je voulais faire plus que lui faire oublier les malheurs de son mari. Je voulais lui faire oublier tous ses malheurs, jusqu’à lui donner la sensation d’être à nouveau vivante. C’était un moment vraiment magique. Peut-être même l’un des meilleurs moments que j’ai pu passer avec ma nièce.

Malgré moi, je ne pus m’empêché de jeter un regard en direction de Félix. Celui-ci semblait bouillonner de l’intérieur. J’espérais sincèrement qu’il n’allait pas s’interposer et piquer un scandale au bon milieu de la foule. Actuellement, c’était la dernière chose dont Amy avait besoin. De plus, tout le monde y compris les quelques gardiens et brutes s’étaient tenu à carreau jusque maintenant. Ce n’était pas le moment de déclencher un pugilat. Enfin, il me suffit à nouveau de noyer mon regard dans les yeux bleus azur de ma nièce. A chaque fois que je la voyais, cela me donnait un peu plus de motivation à continuer mon œuvre. Amy… même-ci je dois consacrer le reste de ma vie pour sauver la tienne, je le ferais.

Mais nous fûmes que trop rapidement interrompu. C’était à prévoir. Félix a finalement décidé de s’immiscer entre nous, pour changer à d’habitude. Néanmoins, quelque chose avait changé par rapport à tout à l’heure. Il semblait calme et sincère, un peu comme il l’était à l’époque où l’on se côtoyait. Cela me fit grandement plaisir. Au moins, il ne semblait pas vouloir piquer une crise devant tout le monde. Il s’excusa de ne pouvoir me serrer la main puis se tourna vers Amy, disant ouvertement ne pas s’attendre à nous voir ici ensemble. Félix connait très bien mes sentiments pour Amy et c’est toujours cela qui a rendu la relation entre nous difficile. Dans le fond, j’appréciais bien l’horloger de son vivant. A cette époque, il faisait d’Amy une femme, à priori, heureuse et comblée. Mais là, je ne pouvais pardonner un tel comportement. Et puis, dans un sens, il devait savoir que s’il continuait ses bêtises, cela m’ouvrirait les portes du cœur d’Amy. Non, il n’est pas bête. Cependant, je doute qu’il sache réellement à quel point j’aime sa femme…

« Mr Adler… Cela faisait longtemps. Ne vous en faites pas pour cela… Mes condoléances d’ailleurs pour ce qu’il vous est arrivé… »

Finalement, peut-être a-t-il compris, mais je ne comptais pas le laisser seul avec Amy pour le moment. S’il venait à perdre à nouveau la tête, je me devais de rester présent pour la protéger. Peut-être aurais-je tenté le coup s’il s’excusait, mais visiblement, il ne semblait pas encore prêt pour cela. Néanmoins, il méritait qu’on lui laisse une chance de s’expliqué. Même-ci j’avais le cœur lourd par rapport au mal qu’il lui avait fait, remuer le couteau dans la plaie était le meilleur moyen pour que cela dérape à nouveau. Patience.

« Nous nous amusions bien, oui… Mais nous ne sommes pas les seuls. » Je désignais les couples qui dansaient main dans la main sur la piste de danse. « Mais ça n’a pas l’air votre cas… Felix… Regardez autour de vous. Tout le monde semble essayé de prendre du bon temps, y compris les morts… Je ne le suis pas, ou du moins, pas encore. Mais je suis sûr d’une chose. Des soirées pour se sentir vivant entre ces murs, il n’y en aura pas tous les jours. Profitez en… »

Encore une fois, je faisais profile bas devant lui et lui donnait toutes les cartes en mains. Volontairement, je n’avais pas inclus Amy dans mes paroles car, à partir de là, il pouvait tenter une approche vers sa femme si cette dernière se sentait prête à le reprendre dans ses bras… Que vas-tu faire, Félix ?

Felix sourit poliment à James, essayant de canaliser la furieuse envie de se jeter sur lui pour l’étrangler. Même s’il ne pouvait pas le faire, évidemment. Il baissa brièvement et respectueusement la tête pour accueillir les condoléances de son interlocuteur. Machinalement, il passa une main à sa gorge qui portait encore les cicatrices de son décès. Il garderait à jamais ses marques sûrement. Celles qui montraient à quel point son cou, sa chair avaient été déchiquetés violemment. Mais il l’avait cherché après tout. Felix ne l’avait jamais nié. Son seul regret était qu’il n’avait pu emporter ce Père Noël avec lui. Mais tant pis. Au moins il avait retrouvé Amy. Façon de parler. Puisqu’elle s’était considérablement éloignée de lui. À juste titre ? Sûrement. Felix n’était pas des plus lucides à ce moment-là, il avait du mal à être complètement objectif sur ses agissements. Il savait qu’il avait fait une erreur mais après tout, c’était juste dans le but de démontrer qu’Amy était à lui. C’était ce qu’elle avait toujours voulu, non ? Qu’elle se sente vraiment appartenue à lui et lui seul. Que le cœur de l’horloger battait chaque seconde pour elle. Et cela aurait dû être une preuve, qu’il ne laisserait sa femme à personne. Que ce soit Juliette Adler ou James Carter.

Ce dernier répondit à sa question qui était plutôt rhétorique dans la bouche de Felix. Il n’en avait que faire de savoir si le scientifique s’amusait. C’était juste histoire de faire une conversation afin de les distraire. Cependant, les paroles de Doc parvinrent à retenir son attention. Lui faisait-il la morale ? Le narguait-il plutôt ? Quel culot. Lui dire d’aller s’amuser de son côté alors que celui-ci dansait avec sa femme. Felix jeta un regard à celle-ci avant de le reporter sur James, un grand sourire se dessinant sur ses lèvres. Un sourire sûrement mauvais mais pas agressif. Un sourire chaleureux mais terrifiant. Il continua de le fixer en silence. En profiter. Mais bien sûr. Il continuait de sourire, ne préférant rien dire pour ne pas jeter de l’huile sur le feu. Malgré son rictus mauvais, mais calme, Felix faisait un gros travail sur lui-même pour ne pas se jeter sur Doc ou lui répondre. Il ne fallait qu’il montre qu’il l’avait touché en plein orgueil et que sa provocation hautaine l’avait affecté. Et pourtant, plus les secondes passaient, plus il avait le sentiment qu’il allait craquer. C’est d’ailleurs ce qu’il fit en tendant la main à Amy, mais les yeux ne décollant pas de James le temps de dire :

- Je ne vous savais pas si arrogant, Mr Carter. Je suis déçu. Maintenant, veuillez m’excuser.

Il inclina respectueusement sa tête avant de la tourner vers Amy et de lui dire d’un ton calme et posé, sa voix grave susurrant presque :

- M’accorderiez-vous cette danse, Mme Adler ?

Erwan regarda son interlocutrice avec un sourire amusé. Elle avait du répondant et cela lui plaisait grandement. C’était agréable d’avoir quelqu’un avec qui pouvoir jouter verbalement. Cela lui rappelait son neveu. Au moins cela lui permettait d’entretenir sa répartie et sa vivacité d’esprit. Car c’était certain, il était très difficile d’avoir une conversation aussi épanouie avec la grande quantité de légumes de ce Manoir. Ou alors ceux qui se prenaient beaucoup trop au sérieux, comme la plupart des Brutes. Surtout celle avec un prénom grec. Il était d’ailleurs fier de l’avoir berné pour survivre, celle-ci, mais qu’importe. Elle n’était pas là et sa couverture ne risquait donc pas d’être brisée. Sauf si sa charmante « épouse » décidait de le couler. Elle aurait pu. Mais après tout, elle devait ignorer sa petite conversation avec cette Brute. Mais passons. Revenons au bal et ses convives. Erwan soupira doucement et regarda la piste de danse. Il remarqua alors la jeune rousse qu’il avait tenté de draguer avant qu’Helena ne s’interpose être accompagnée par une autre rousse, plus âgée. Il soupira doucement avant de se demander combien d’autres femmes à la chevelure de feu il y avait dans cet endroit. Il avait toujours cru que les roux étaient les plus rares mais il fallait croire que non.

C’est alors qu’elle lui demanda de l’inviter à danser. Erwan tourna la tête vers elle et sourit, ne faisant nullement attention à cette énième provocation concernant sa précédente tentative de conquête. Il rit doucement et eut un regard aussi amusé que tendre. Tendre oui. Car au fond, il avait beaucoup d’affection par cette forte tête qui s’amusait à se prétendre sa femme depuis cinq minutes. Si cela se trouvait, elle était réellement mariée et il n’en savait rien. Mais cela n’avait pas d’importance, cela pimentait même leurs diverses rencontres. Ce serait amusant qu’il rencontre le possible mari de cette femme. Il passerait sûrement un mauvais quart d’heure pour avoir dansé avec elle, mais qu’importe. Malgré ses 42 ans, il courait toujours aussi vite quand les choses s’envenimaient. Et il aimait prendre des risques inconsidérés et stupides. Il aurait d’ailleurs pu dire la traditionnelle phrase clichée « j’aime vivre dangereusement ». Il avait d’ailleurs passé sa vie à arnaquer ici et là et à se faire courir après. Un de plus, un de moins…

- C’est une subtile et galante manière de demander.

Il continua de sourire avant de lui présenter alors sa main et de désigner la piste de danse de la tête.

- Mme Daugherty, voulez-vous être ma partenaire ?

Si elle voulait tant jouer à être sa femme, autant y aller jusqu’au bout. Mais étrangement, il ressentit une certaine fierté de pouvoir appeler une femme par son nom de famille. Cela lui donnait l’impression qu’il pouvait avoir une nouvelle relation sérieuse et… « normale », la dernière remontant, après tout, à 25 ans. Enfin, façon de parler. Il sortit de ses pensées qu’il essayait d’oublier d’être mélancolique, chose qu’il était que très, très rarement et souvent quand il n’y avait personne. Il se ressaisit, effaça l’ombre triste de son visage et sourit galamment, le regard charmeur, à sa partenaire.

Amy n'osait pas regarder son mari dans les yeux. Restant presque pétrifiée, faussement dans les bras de son oncle, elle les écoutait parler. Rapidement, elle ressentit l'étrange sensation qu'une bataille verbale faisait rage à côté d'elle. L'on se disputait encore pour elle. N'importe qui aurait pu être fière de cela. Pas Amy. Un incroyable bordel faisait déjà problème dans son esprit, soupirant doucement que sa vie entière n'avait été qu'incontrôlable. Oui, toute sa vie, elle l'avait passé à dévaler une pente de neige où la jeune femme n'avait pu éviter aucun obstacle. Il aurait été tellement plus simple de mourir, mais le destin en avait décidé autrement. Si vivre en tant que fantôme elle devait, alors cela se ferait, même contre son grès. Elle fronça pourtant légèrement les sourcils en entendant son oncle. Sa voix était presque menaçante, malgré une musicalitée qui se voulait légère. Des soirées pour se sentir vivant...à quoi cela sert quand on sait pertinemment que nos corps mangeaient les pissenlits par la racine ?  Elle eut un petit ricanement et attendit alors la réponse de Felix. Il est vrai qu'une étrange arrogance s'était infiltrée dans la voix de son oncle. Comme quelqu'un qui pensait avoir quelque chose pour du. De remporter sur le long terme. Jamais il n'aurait pu avoir autant tord. Mais Amy n'aimait pas l'idée de faire de la peine à sa famille. Surtout à la dernière qu'il pouvait lui rester. Il avait été si gentil avec elle quand Felix s'était mal comporté envers elle.

Mais c'est alors que ce dernier se tourna vers ses bleux yeux. Amy, toujours la tête baissée, avec vu les chaussures spectrales de son mari se placer dans sa direction. Pas de doute possible. Son coeur se mit à battre la chamade et son souffle tomba court. Si seulement tout ceci avait encore une réelle signification. Mais les souvenirs de ce que pouvait faire un corps était encore fort en elle. Quand la voix de Felix lui proposa de danser. Un grand sourire apparut sur son visage, bien que celui-ci soit encore baissé. Lentement, Amy leva la tête vers son mari, les yeux rieurs. Cette voix la séduisait encore plus qu'au premier jour de leurs rencontres. Quand elle l'avait vu au tout début, timide qu'il était derrière son comptoir. En tout cas, plus jamais elle n'avait regretté d'avoir un si gros estomac qu'il lui fallait emporter assez à manger pour dix personnes. Juste une de plus lui avait suffit à trouver l'amour de sa vie. Elle prit sa main qu'elle supposa être tendue car il fallait bien faire avancer les choses. Tournant alors la tête vers son oncle, la jeune femme fit doucement:

- Merci beaucoup pour cette danse, Tonton.

Gardant la main de Felix dans la sienne, elle se retourna vers lui, les yeux éperdues d'amour. Oh, s'il lui faisait encore du mal, comment savoir si elle n'allait pas s'applatir devant lui ? Après tout, elle l'avait mérité. A trop se laisser porter par un courant sans n'avoir aucun contrôle sur sa vie, on finit par ne plus se rendre compte de toutes les personnes que l'on a blessé dans le processus. Et elle n'avait que trop blessé Felix. S'aggrippant alors à son cou, la jeune femme s'approcha de son oreille et murmura, alors qu'ils commençaient à danser:

- Pardonne-moi...j'ai eu tort de m'éloignée de toi...j'ai mérité ce que tu as fait.

Amy serra son mari davantage contre elle, tout ceci ressemblant davantage à un slow qu'à une valse. Mais s'écartant alors, ses mains mirent tout en place pour que la danse respectable se fasse, tournoyant alors comme deux feux follets dans la salle.