Jake rouvrit les yeux au son d'un battant de porte pivotant sur lui-même. Tout était noir. Très noir. Comme toujours. Le jeune homme soupira. Il entendait une vague respiration en provenance de la pièce où il se trouvait, mais se sentait à vrai dire trop faible pour mener une enquête plus poussée à ce sujet. Cela aurait bien pu être une brute. Ou un gardien. Ou n'importe quoi d'autre. En fait, Jake n'en avait absolument rien à faire. Au stade de dépit où il se trouvait, la chose qui venait d'entrer aurait bien pu le décapiter, cela n'avait guère plus d'importance. Qu'elle le fasse simplement vite, si possible. L'amnésique referma les yeux et déplaça légèrement son bras contre le matelas. Le – attendez. Le matelas ? Il lui semblait se trouver dans un couloir, aux dernières nouvelles. Au premier, deuxième étage. Quelque chose comme cela. Un couloir, avec un plancher – un plancher en bois, et aucunement un monceau de tissu. La confusion de l'ancien domestique atteignit rapidement son paroxysme face à ce constat. Son rythme cardiaque déjà élevé accéléra encore légèrement, sa respiration suivit le même rythme déplorable, de désagréables démangeaisons se remirent à courir le long de ses bras et de sa poitrine – en somme, tous les signes physiques de son manque de laudanum accrurent leur intensité.

Malgré tout, au bout de quelques secondes durant lesquels son esprit fut littéralement à la torture, Jake se souvint. La jeune femme. Le secours qu'elle avait voulu lui apporter. Lui, qui n'avait rien trouvé de mieux que de la repousser – et violemment qui plus est, se comportant ainsi comme... oui, comme le dernier des imbéciles. Voire pire. Et, pourtant, cette demoiselle l'avait... c'est cela, elle l'avait traîné jusque dans cette chambre et... et elle était repartie. Et lui l'avait laissée s'éloigner le long de ces couloirs maudits, exposée aux dangers sans nombre que recelaient le manoir, et ce sans prononcer ne serait-ce qu'un mot. Le cœur de Jake manqua un battement, et il lui sembla un instant qu'il allait mourir de honte.

Mais la jeune femme était apparemment revenue. Ou quelqu'un d'autre, mais qui, à part elle, se serait dirigé vers lui pour le forcer à boire quelque chose qu'il espérait sincèrement être la drogue à la fois salvatrice et destructrice qui gouvernait pour une bonne part son existence depuis son adolescence ? Le dernier fils Walker parvint à avaler la totalité du liquide sans réellement s'étrangler – ce qui, étant donné son état, constituait une sorte d'exploit – et se laissa retomber sur le vieil oreiller en essayant de se calmer. Sa respiration s'apaisa tant bien que mal.

La demoiselle s'était assise à ses côtés. Une fois que le laudanum – ou, d'une manière ou d'une autre, la chose qu'il avait ingéré – eût commencé à faire effet le jeune drogué au laudanum fit de son mieux pour se redresser et, dans l'obscurité, chercha la main de la jeune fille, qu'il prit dans la sienne, la serrant légèrement entre ses doigts tremblants.

« Merci. »

Il ne savait que dire d'autre. Il avait conscience d'avoir mal agi, très mal agi, et aucun des mots qu'il pourrait prononcer ne semblait pouvoir le racheter dans la moindre mesure. Son désarroi était aussi sincère que son comportement avait inacceptable – même si l'on admettait que, s'il avait été dans son état normal, ce qui signifiait depuis des années être sous l'emprise de substances opiacées, jamais il n'aurait pu agir de cette manière. Il était simplement... impardonnable. Et ce constat fut près de faire perler des larmes à ses yeux.

« Vous... vous êtes un ange. Je suis désolé. Terriblement désolé. »

Rose observait toujours le malade qui reprenait peu à peu des couleurs. Elle ne savait pas si elle devait s'en féliciter ou au contraire regretter son geste. Au moins était-il plus calme et apaisé maintenant. De tout façon, elle était trop épuisée pour se battre contre qui que se soit. La jeune femme souhaitait simplement dormir d'un sommeil réparateur, pas ces pseudo-moment où entre deux assoupissements, elle revivait cette nuit.


Elle fut surprise de sentir la main encore moite de Jake prendre la sienne. Quelque chose s'agita dans les bas fonds de son esprit alors que son petit cœur se mit à battre un peu plus rapidement et que ses joues se colorèrent doucement. Cependant, elle posa la sienne par dessus, la serrant légèrement pour calmer ses tremblements. A quel point souffrait-il ? Que pouvait elle faire pour l'apaiser ? Un sourire illumina ses traits anxieux lorsqu'il la remercia.

« Je ne suis pas un ange … Je vous l'assure. »

L'amnésique ne savait pas si elle arriverait à lui pardonner son précédent comportement. La boisson et la drogue faisait faire des choses qu'on regrettait et qu'on ne pouvait maîtriser, elle le savait bien mais c'était difficile de rester impartiale quand on est repoussé aussi violemment.

La fatigue se fit plus forte et plus pressante, ses yeux se fermaient tout seul et elle avait beau lutté pour veiller sur son patient, c'était plus fort qu'elle. Depuis combien de temps n'avait-elle pas réellement dormi ? Elle ne savait plus. La jeune femme se releva pour venir de l'autre côté du lit et s'installa dedans, tout au bord pour ne pas déranger ou mettre mal à l'aise Jake.

« Je ne vous en veux pas. » Glissa-t-elle avant de s'assoupir quasiment aussitôt.

Elle ne sut combien de temps elle avait dormi avant que les images ne reviennent. Pas longtemps certainement, comme d'habitude. Mais contrairement à son quotidien, elle n'arriva pas à se réveiller.  La nuit était sombre. Les rares lampadaires encore en état de fonctionner n'offrait que peu de lumière. Elle sentait leur regard dans son dos comme s'ils le criblaient de petites flèches. La panique commençait à se répandre dans ses membres, la forçant à accélérer sans se retourner. Les semer. C'était la seule idée qu'elle avait. Elle tourna dans une ruelle qu'elle ne connaissait pas, puis une autre et une autre encore jusqu'à se retrouver coincer. Son coeur battait la chamade. Ses yeux cherchaient frénétiquement une issue mais la seule se trouvait dans son dos. Le souffle court, elle se retourna. Ils étaient déjà là, souriant, lui coupant toute retraite.

« N-non … N'approchez pas ! Nooon ! »

Elle avisa alors la barre en métal qui trainait là et s'en empara. Son bras tremblait – à moins que se fusse tout son corps ?- alors qu'elle la dirigeait vers eux :

« Je vous en prie … partez … non. NON. »

Son esprit devint alors vide. Les coups se mirent à pleuvoir avec force et rage. Il n'y eu bientôt plus que des bruits sourds, des râles et des craquements … Rose poussa un cri en découvrant de ce qu'elle avait fait encore, une nouvelle fois. Toujours avec la même violence. Son corps fut parcouru de spams et de tremblements alors qu'elle gémissait et s'accrocha au bras de Jake dans son sommeil, n'arrivant pas à s'arracher à cet horrible cauchemar.